Les Douanes et la Convention MÉDICRIME

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Entretien avec Monsieur Oscar Alarcón, Secrétaire exécutif de la Convention MÉDICRIME* (Conseil de l’Europe), Docteur en droit international et droits de l’homme
*AIDF a le statut d’observateur auprès du Comité MÉDICRIME

Propos recueillis par Monsieur Ghenadie Radu, Dr en droit, ALTAPRISMA (formations douane et commerce international), Membre bienfaiteur de l’AIDF
Paris, le 13 mars 2025

Dr Ghenadie Radu : Merci d’avoir trouvé le temps de m’accorder cet entretien. Pourriez-vous vous présenter brièvement, s’il vous plaît ?

Dr Oscar Alarcón : Avec plus de 20 ans d’expérience professionnelle au sein du Conseil de l’Europe, je suis actuellement secrétaire exécutif de la Convention MÉDICRIME, un traité pénal  qui vise à lutter contre la falsification des produits médicaux et les infractions similaires menaçant la santé publique. Cette convention n’est pas réservée aux seuls pays européens, mais est ouverte à l’adhésion de tout pays de par le monde. Actuellement (mars 2025), la convention compte 23 États parties l’ayant ratifiée, dont 8 sont des États tiers au Conseil de l’Europe (Bélarus, Bénin, Burkina Faso, Guinée, Côte d’Ivoire, Maroc, Niger, Fédération de Russie), ainsi que 22 autres États qui l’ont signée, parmi lesquels 8 sont des États non européens (Tchad, Chili, Congo, Équateur, Israël, Mali, Togo, Tunisie).

Dr Ghenadie Radu : La Convention du Conseil de l’Europe sur la contrefaçon des produits médicaux et les infractions similaires menaçant la santé publique (appelée « Convention MÉDICRIME ») a été signée le 28 octobre 2011 et entrée en vigueur le 1er janvier 2016. Pourquoi une telle Convention ?

Dr Oscar Alarcón : La Convention MÉDICRIME a été élaborée pour faire face à un problème de plus en plus préoccupant, à savoir la falsification des produits médicaux et d’autres infractions similaires menaçant la santé publique. Cette pratique illégale, en plus de se répandre à l’échelle mondiale, met en danger la santé et la vie des personnes. Face à cette menace, il est important d’adopter des mesures fortes et coordonnées pour protéger les populations et garantir l’intégrité des systèmes de santé.

La falsification de produits médicaux est donc un problème croissant, ce qui en fait une préoccupation majeure à l’échelle mondiale. En effet, cette pratique illégale ne se limite plus à certaines régions, mais s’étend rapidement, touchant aussi bien les médicaments que les dispositifs médicaux et menaçant ainsi l’intégrité des systèmes de santé à travers le monde. De plus, ce phénomène met en danger la santé et la vie des personnes, car les produits médicaux falsifiés peuvent être inefficaces, contaminés ou même toxiques. Par conséquent, les patients qui les consomment s’exposent à des risques graves, allant de l’échec thérapeutique à des complications sanitaires pouvant entraîner même la mort. C’est pourquoi la lutte contre la falsification des produits médicaux est non seulement urgente, mais aussi vitale pour la protection de la santé publique.

Ce crime transnational nécessite une réponse coordonnée de la part des autorités, car les réseaux de crime organisé opèrent souvent au-delà des frontières nationales. Pour combattre efficacement ce fléau, il est essentiel de disposer de définitions harmonisées de ce qui constitue un « crime pharmaceutique ». Cela garantit la sécurité juridique et l’efficacité des procédures judiciaires, permettant ainsi aux professionnels du droit d’appliquer la législation de manière uniforme et d’éviter les ambiguïtés qui pourraient ralentir ou compliquer les procédures. En outre, cela facilite la coopération internationale, car des définitions communes sont indispensables pour une collaboration efficace entre les systèmes juridiques de différents pays, notamment dans des domaines sensibles comme les droits de l’homme ou la lutte contre le crime organisé. Enfin, cela renforce la cohérence dans l’application de la loi, en assurant que les législations soient interprétées et mises en œuvre de manière uniforme, ce qui renforce l’équité et la justice au sein du système légal.

Il ne faut surtout pas oublier le fait que l’établissement de sanctions est nécessaire pour prévenir cette activité, car des mesures dissuasives sont indispensables pour décourager les criminels et punir ceux qui profitent de ce commerce illégal. Ainsi, des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives envoient un message fort : la falsification de produits médicaux ne sera pas tolérée.

Pour faciliter la coopération internationale, la Convention MÉDICRIME joue un rôle clé en établissant un cadre juridique commun pour l’échange d’informations, les enquêtes conjointes et l’entraide judiciaire. Grâce à cette collaboration renforcée entre les États, il est possible de lutter de manière efficace et coordonnée contre un crime qui, par nature, ignore les frontières.

Conçue comme un instrument essentiel pour protéger la santé publique, la Convention MÉDICRIME vise à prévenir et à combattre les menaces pesant sur la santé publique. Pour ce faire, elle incrimine certains actes, protège les droits des victimes et promeut la coopération nationale et internationale dans la lutte contre ce fléau.

Dr Ghenadie Radu : La Convention MÉDICRIME oblige les Etats participants à ériger en infraction pénale un certain nombre d’agissements comme : la fabrication de produits médicaux contrefaits ; la fourniture, l’offre de fourniture et le trafic de produits médicaux contrefaits ; la falsification de documents concernant les produits médicaux ; la fabrication ou la fourniture non autorisée de produits médicaux et la mise sur le marché de dispositifs médicaux ne remplissant pas les exigences de conformité. Quel est le rôle de la Douane au regard de la Convention MÉDICRIME ?

Dr Oscar Alarcón : La Douane joue un rôle clé dans la lutte contre la falsification des produits médicaux, agissant comme une première ligne de défense aux frontières. Sa mission principale est de contrôler les marchandises qui entrent et sortent du territoire, ce qui lui permet d’intercepter les produits médicaux falsifiés avant qu’ils ne pénètrent sur le marché. Grâce à des collaborations étroites avec d’autres agences et les forces de l’ordre, les douaniers peuvent détecter les contrefaçons des produits médicaux, même lorsqu’elles sont dissimulées dans des envois complexes. En plus de son rôle de surveillance, la Douane contribue à la collecte de renseignements et au partage d’informations avec les autorités sanitaires, les forces de l’ordre et les organisations internationales. Cette coopération est cruciale pour identifier les réseaux criminels et démanteler les chaînes d’approvisionnement illégales. 

Par ailleurs, la Douane joue un rôle essentiel dans l’application des dispositions de la Convention MÉDICRIME. Concrètement, elle veille à ce que des agissements comme la fabrication, la fourniture ou le trafic de produits médicaux contrefaits soient érigés en infractions pénales, conformément aux exigences de la Convention. En cas de découverte de produits falsifiés, elle procède à leur saisie et informe les autorités compétentes pour engager des poursuites. En outre, les Douanes facilitent la coopération transfrontalière en participant activement à l’échange d’informations et à l’entraide judiciaire entre les États. Cette collaboration renforcée permet de répondre de manière plus efficace et coordonnée à un crime qui, par sa nature, est transnational.

Enfin, la Douane joue un rôle clé dans la sensibilisation et la prévention, en informant le public, les administrations et le secteur privé des risques associés aux produits médicaux falsifiés. Son action, combinée à celle d’autres acteurs, renforce la sécurité des patients et protège l’intégrité des systèmes de santé.

Dr Ghenadie RADU : Pour lutter contre la menace mondiale que constituent la contrefaçon des produits médicaux et les infractions similaires, il est important qu’une coopération internationale étroite entre les Administrations douanières soit efficace. Qu’en est-il sur le terrain ?   

Dr Oscar Alarcón : La coopération internationale entre les Administrations douanières se manifeste par des actions concrètes, telles que l’échange d’informations, les opérations conjointes, l’utilisation de technologies avancées et la collaboration avec d’autres agences. Ces initiatives visent à protéger la santé publique et à garantir la sécurité des produits médicaux sur le marché mondial. Tout d’abord, l’échange d’informations et de données constitue l’un des fondements de cette coopération. Concrètement, les Douanes de différents pays partagent en temps réel des informations sur les expéditions suspectes, les routes utilisées par les trafiquants et les méthodes employées par les réseaux de crime organisé. Cette collaboration est d’autant plus efficace grâce à des accords bilatéraux ou multilatéraux, notamment ceux mis en place par l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD).

Par ailleurs, les opérations conjointes illustrent également cette coopération de manière concrète. Ainsi, les Administrations douanières collaborent pour intercepter des cargaisons illégales, en organisant des actions coordonnées qui impliquent souvent plusieurs pays. Ces opérations ciblent les routes critiques utilisées pour distribuer des produits médicaux falsifiés, permettant ainsi de démanteler des réseaux criminels transnationaux. Par ailleurs, la formation et l’assistance technique sont essentielles pour renforcer les capacités des Douanes, en particulier dans les pays disposant de ressources limitées. En pratique, les pays ayant des systèmes douaniers plus avancés fournissent une expertise et des formations sur des sujets tels que les techniques d’inspection, l’utilisation de technologies de pointe et l’analyse des risques, afin d’améliorer la détection des produits médicaux falsifiés.

Cependant, bien que l’utilisation de technologies avancées soit essentielle pour moderniser les contrôles douaniers, elle n’est pas accessible à tous. En effet, certains pays ne disposent pas de ces technologies et se voient obligés de recourir à des inspections physiques exhaustives, ce qui peut ralentir les processus et limiter leur efficacité. Parallèlement, la collaboration avec d’autres agences est un élément clé dans la lutte contre la falsification des produits médicaux. À cet égard, les Douanes travaillent en étroite collaboration avec les agences de santé, les forces de l’ordre et les organisations internationales comme l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’INTERPOL, l’EUROPOL et l’Office Européen de Lutte Antifraude (OLAF). Grâce à cette coopération, il est possible de vérifier l’authenticité des produits et de mener des enquêtes approfondies pour démanteler les réseaux criminels.

En outre, l’application de sanctions et de mesures légales est une étape cruciale pour dissuader les criminels. Lorsque des produits médicaux falsifiés sont interceptés, les Douanes collaborent avec les autorités judiciaires pour s’assurer que les responsables soient poursuivis et punis. Cela inclut, entre autres, la destruction des produits saisis et le démantèlement des réseaux impliqués.

Enfin, la sensibilisation et la prévention complètent ces efforts en informant le public et le secteur privé sur les dangers des produits médicaux falsifiés. Dans ce cadre, les Douanes participent à des campagnes de sensibilisation pour aider les citoyens à identifier les produits frauduleux et à mieux comprendre les risques qu’ils posent pour la santé.

Le mot de la fin 

Dr Oscar Alarcón : La falsification de produits médicaux est un crime souvent « invisible » mais représente néanmoins un commerce très lucratif qui cause des centaines de milliers de victimes chaque année. Si l’on a tendance à ne penser qu’aux médicaments falsifiés à usage humain, il faut noter que les médicaments vétérinaires falsifiés sont également de plus en plus répandus. Malheureusement, et contrairement au trafic de drogues, le commerce de produits médicaux falsifiés reste largement impuni dans de nombreux pays.

Il est essentiel donc que les pays reconnaissent l’importance de criminaliser la falsification de produits médicaux dans leurs codes pénaux, afin de protéger la santé publique et de fournir aux acteurs nationaux les outils nécessaires pour combattre ce fléau. À défaut, ils continueront à faire face à des obstacles légaux et opérationnels qui entravent une réponse efficace, permettant ainsi aux réseaux criminels d’opérer en toute impunité et de mettre gravement en danger la vie des personnes et la santé publique.

L’Association Internationale des Douaniers Francophones (AIDF) joue un rôle important en tant qu’observateur au sein du Comité MÉDICRIME, contribuant activement à la lutte contre ce fléau. En participant aux travaux du Comité MÉDICRIME, l’AIDF apporte son expertise technique et opérationnelle pour renforcer les capacités des douaniers notamment dans la détection des produits médicaux falsifiés. Grâce à son engagement, elle facilite l’échange d’informations et des bonnes pratiques entre les Administrations douanières, tout en promouvant une coopération internationale plus étroite.

En conclusion, la Convention MÉDICRIME incarne un espoir dans la lutte contre les crimes qui menacent la santé publique, mais aussi représente un appel urgent à l’action. Bien que les 23 pays aient déjà ratifié la convention, l’adhésion à celle-ci par un plus grand nombre d’Etats est d’une grande importance, notamment pour protéger la vie des patients et garantir l’intégrité des médicaments. Face à la mondialisation des menaces dans le domaine de la santé, la coopération internationale n’est plus une option, mais une nécessité. On est toujours plus forts ensemble !

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